En mars 1927, Virginia Woolf en train de corriger les épreuves de La Promenade au phare, dans l’épuisement où la laisse l’achèvement de chacun de ses grands romans, note dans son journal l’idée d’un nouveau livre : elle pense à un « temps télescopé comme une sorte de chenal lumineux à travers lequel mon héroïne devrait avoir la liberté de se mouvoir à volonté ». Elle ajoute que la veine satirique y sera dominante : ce sera un roman à la Daniel Defoe, où elle se moquera de son propre lyrisme. Ce sera Orlando, la biographie imaginaire d’un personnage dont nombre de traits sont empruntés à Vita Sackville-West (à laquelle elle est liée depuis plus d’un an) et qui, alternativement homme et femme, traverse plusieurs siècles de l’histoire de l’Angleterre et qui souhaite obtenir la gloire, non par ses actes, mais par ses écrits. Le livre connaîtra un succès sans précédent. L’écrivain et biographe Peter Ackroyd décrit parfaitement les raisons de ce succès : « L’un des grands thèmes du roman réside dans la transsexualité d’Orlando. Depuis les Métamorphoses d’Ovide, il y a toujours eu un courant, dans la littérature occidentale, fasciné par ce type singulier de transformation qui repré- sente le pur plaisir de l’invention, et du changement, comme si l’acte d’écrire lui-même était une forme de libération. Il y a là une vérité profonde : “dans tout être humain a lieu une sorte de vacillation d’un sexe à l’autre”, écrit Woolf. Mais, pour l’écrivain, un tel changement est aussi une source profonde d’énergie. C’est pourquoi Orlando est un tour de force d’une incroyable vivacité intellectuelle, où la gaieté et une inven- tivité fantasque donnent à voir ce qu’elle en a dit elle-même : ce sont bien là les “vacances d’un écrivain”. On sent comment s’allège, à mesure qu’elle écrit, la pression qu’exerçaient sur elle ses pensées. Les phrases semblent presque amoureuses de leur propre audace ; elles déferlent et, dans leur artifice, créent de toutes pièces un monde qui fait penser à une tapisserie splendide dans laquelle évoluent les personnages. »
La présente édition reproduit, avec la belle préface du traducteur, l’édition originale de la traduction de Charles Mauron publiée en 1931. Devenue introuvable, elle n’en est pas moins la seule qui fut lue et approuvée par Virginia Woolf, qui s’était liée d’amitié avec le traducteur. Notre édition respecte le vœu de Virginia Woolf de présenter son livre comme une biographie. On y trouve des photographies : toutes les illustrations de l’édition originale à la Hogarth Press sont ici reproduites, mêlant documents d’archives et photographies personnelles de Vita ou même d’Angelica Bell, rehaussée de quelques traits de peinture dus à sa mère Vanessa Bell, la sœur de Virginia. L’index dû à Virginia Woolf elle-même, qui complète l’illusion d’un travail universitaire, est ici traduit pour la première fois.
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