Lorsque Virginia Woolf écrit Flush, en 1932, elle a 50 ans et vient de publier son roman Les Vagues. Elle avait fait une première incursion dans le genre de la biographie fantastique en 1928, avec Orlando. En 1933, quand Flush est publié, Woolf travaille déjà à son prochain roman, Les Années.
La réédition de ce livre pétillant d'esprit, qui fut en Angleterre le best-seller de Woolf – il avait été publié chez Stock en 1933 puis repris en poche en 1987, sans avoir jamais été pris au sérieux –, vient à point à l’heure où le magazine Les Inrockuptibles découvre enfin « une Virginia lumineuse et vivante ». Biographie imaginaire, parodique et teintée d’humour de l’épagneul cocker de la poétesse Elizabeth Barrett Browning, Flush est une œuvre originale d’un grand modernisme. S’appuyant sur les poèmes qu’Elizabeth a écrit sur son chien et sur la correspondance publiée des Browning, Virginia Woolf retrace la vie de Flush : sa jeunesse à la campagne avec Mary Russell Mitford ; son adoption en 1842 par Miss Barrett – atteinte d’une maladie mystérieuse qui l’oblige à rester alitée, prisonnière d’un père tyrannique – dont il partage la vie de recluse à Wimpole Street ; sa découverte de Londres où il est victime d’un enlèvement ; sa rencontre avec Robert Browning qu’il voit longtemps comme un rival ; sa fuite vers l’Italie avec la fidèle femme de chambre Lily Wilson après le mariage secret de sa maîtresse ; sa jalousie à la naissance de Pen ; enfin, sa vie paisible à Pise puis à Florence où Elizabeth a recouvré sa santé et sa liberté, et où Flush finit ses jours, heureux et libre lui aussi, au cœur des collines toscanes.
Au contact d’Elizabeth, Flush observe et raconte, tantôt espiègle, tantôt jaloux, à la fois tendre et attentif. Ils partagent leurs émotions, leurs pensées et surtout ce que la vie recèle de poésie – les odeurs sont pour Flush ce que les mots sont pour Elizabeth.
Biographie de la vie d’un chien, Flush est aussi une minutieuse reconstitution de la vie d’Elizabeth Barrett durant les années les plus sombres et les plus belles de son existence qui donnèrent naissance aux inoubliables Sonnets portugais. Elizabeth pourrait bien être ici la figure plus générale de la femme écrivain, voire de Virginia Woolf elle-même qui fut également victime des agissements tyranniques d’un père, d’une maladie mystérieuse, d’une quête désespérée du bonheur...
À travers le regard de Flush, Woolf reprend donc les thèmes qui lui sont chers, esquissant une critique de la société victorienne et de la vie citadine, des codes qui la régissent et des conflits de classes qui l’empoisonnent, dénonçant l’oppression et la tyrannie des hommes dont les femmes peinent à se libérer. Mais surtout, et c’est sans doute sa plus belle réussite, Woolf révèle ici la richesse du flux de la vie intérieure et des instants fugitifs qui la traversent.
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