Robert Browning, L'Anneau et le Livre
En 1860, chez un bouquiniste de Florence, le poète Robert Browning découvre un petit livre qui contient les minutes d'un procès portant sur un crime commis en 1697 : reconnu coupable du meurtre de son épouse et des parents de celle-ci, le comte Guido Franceschini fut exécuté un an plus tard, avec ses complices. Un fait divers qui, sous la plume d'un Robert Browning fasciné, se transforma en un immense poème de 21000 vers, véritable roman magnifiquement traduit par Georges Connes, publié en France en 1959 et réédité aujourd'hui en édition bilingue.
Les faits bruts, l'imagination du poète les transforme en or pur, reconstituant « les cœurs qui palpitaient fort » et « la vérité de la vie humaine ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit : Browning apostrophe ses contemporains – ce « public britannique » qui l'ignore encore comme poète – et leur soumet toute la palette des sentiments humains, de la sincérité au cynisme, de l'amour à la cruauté. Et ce qu'il leur livre ainsi est une création quasi divine car, explique-t-il, si Dieu seul crée, le poète, par son imagination, recrée et « ressuscite ». Rome et la Toscane de la fin du XVIIe siècle revivent sous la plume exaltée de Browning, avec les personnages, les rumeurs et les silences, les bruits de la foule, les complots. On est parfois dérouté par les versions divergentes des témoins, les différents scénarios imaginés par le poète. Mais, comme l'écrivait Henry James, grand admirateur de Browning, un tel sentiment est naturel devant une construction « gothique » aux multiples entrées, qui, pour ceux qui savent la contempler, sécrète de la « poussière d'or et d'argent ». Browning ne cesse de guider le lecteur, de l'avertir des calomnies, de l'alerter sur les différentes manières d'aborder un témoignage, de lui montrer les motivations des uns et des autres. Tout ensemble roman policier et fleuve poétique, L'Anneau et le Livre envoûte, grâce à l'inspiration fabuleuse et rusée de Robert Browning, poète enjambant les siècles, secret complice de Sherlock Holmes et de Merlin.
Gilles Heuré