Livres Hebdo - n°879 - Le flâneur de l'histoire

 Livres Hebdo - n°879 - Le flâneur de l'histoire
30 septembre 2011

Le flâneur de l'histoire

Le poète polonais Zbigniew Herbert nous propose un voyage en Crète et en Grèce.

Au cours d'histoire, Zbigniew Herbert (1924-1998) préférait l'histoire au long cours. Celle que l'on ressent quand on se promène, quand on se frotte à la poussière du temps, au contact des vieilles pierres, des ruines et des paysages. Le grand écrivain polonais, dont Le Bruit du temps publie en édition bilingue le premier volume des œuvres poétiques sous le titre Corde de lumière, fut aussi un essayiste de premier ordre, avec une façon bien personnelle d'évoquer le passé en cheminant entre les mythes et les drames.

Dans Le Labyrinthe au bord de la mer, le flâneur nous conduit aux origines d'un monde auquel nous devons le nôtre. Le labyrinthe, c'est celui de Dédale d'où sortit victorieux Thésée après avoir tué le Minotaure, la mer, c'est la Méditerranée. De cette Crète est sorti Cnossos et la civilisation minoenne, découvertes au tout début du XXe siècle par Arthur Evans, auquel Zbigniew Herbert consacre un beau chapitre.

On sent le poète polonais fasciné par la tentation de durer de la Crète antique, une tentation sans ostentation avec une absence de majesté, de puissance lugubre, de vengeances inquiétantes. « Il ne subsiste aucun portrait de ces souverains dont les traits menaçants, la pose hiératique et les proportions gigantesques, écrasantes pour tout et pour tous, font apercevoir la folie et le crime de ces temps-là. »

En déambulant au bord de la mer, Zbigniew se perd lui aussi dans le labyrinthe du passé dont il souligne le bruit et la fureur. Il offre une bouffée d'air frais à tous ceux qui se désespèrent de voir le monde préférer les chiffres à l'être. Ce livre magnifique d'un homme qui recherche son histoire dans l'Histoire montre que l'on peut voir la Grèce autrement que comme une faillite, un pays maltraité par des agences de notation qui n'ont jamais eu la moyenne en philo.

« Lorsque je réfléchis à l'histoire de civilisations éloignées, je m'intéresse davantage à la cause de leur mort qu'à tout ce qui concerne leur vie, leur splendeur et leur puissance. » Zbigniew n'est pourtant pas un mélancolique. Ce rêveur est lucide. Comme Chateaubriand, il est venu chercher un peu d'harmonie dans un siècle oublieux. D'où cette remarque qui pourrait résumer ces sept essais sur l'Antiquité grecque et latine : « L'un des péchés mortels de la culture contemporaine est d'éviter craintivement toute confrontation directe avec les valeurs les plus hautes. Et cette conviction arogante que nous pouvons nous passer de modèles (autant esthétiques que moraux), sous prétexte que notre situation dans le monde est soi-disant exceptionnelle et incomparable. »

                                                                                                     Laurent Lemire