Matricule des Anges : Recension par Eric Dussert

D’une activité apparemment effrénée, Patrick Reumaux publie depuis plusieurs années un nombre d'ouvrages considérable, qu'il s'agisse de traductions, d’essais ou des opus de ses magnifiques collections « De natura rerum » qu'il dirige chez Klincksieck ou de la série « Poésie magique » (Belles Lettres). Il consacre aujourd’hui un essai délectable aux trois membres de la fratrie Powys, Llewelyn, Theodore Francis et John Cowper, ces Gallois extraordinaires dont les œuvres combinées forment un ensemble aussi dense que troublant, de Wolf Solent à Rodmoor. La Table ronde des Powys constitue un efficace vade-mecum, on y décèle vite « l’étrangeté radicale » des frères que n’aura pas dissoute leur goût pour la botanique et l’ornithologie. Auscultant avec bonhomie ses sujets, Reumaux traite ce petit monde hirsute et inspiré avec son intarissable humour piqué de sarcasmes – cette abrasive nuance dont seuls peuvent faire preuve les grands lettrés. Il y met de plus assez de passion et de subtilité pour qu’on adhère parfaitement à ses vues, ainsi qu’on était entré dans les poches et dans la tête de Giuseppe Tomasi di Lampedusa avec Les Derniers Guépards (Gallimard, 2021). Moins fin de race que ce dernier mais plus tumultueux, les Powys furent toujours des créateurs indépendants, mais restèrent attachés à leur clan et à cette manière très aristocratique d’aborder le monde et les questions esthétiques, refusant le réalisme, entretenant tous les trois un rapport littéralement chamanique à la nature, héritage probable de leurs jeunes années dans le village de Montacute (Somerset) où ces jeunes fauves se frottèrent à Pan et restèrent imprégnés de ses mystères. En parallèle, Patrick Reumaux propose chez le même éditeur plusieurs essais importants des trois frères sous le titre Les Parias : on y trouvera « Le Soliloque de l’ermite » de Theodore, l’un des sommets de son art. 

Par Éric Dussert