Lettre(s) de la magdelaine - Choses lues : David Herbert Lawrence, Croquis étrusques

 Lettre(s) de la magdelaine - Choses lues : David Herbert Lawrence, Croquis étrusques
09 juin 2010

Choses lues : David Herbert Lawrence, Croquis étrusques

C’est en poète que Jean-Baptiste de Seynes a traduit ce livre rare, par sa facture, son iconographie, son appareil critique, sa présentation impeccable en tous points aux éditions Le Bruit du temps.

De ce temps-là, je fais remonter celui des castagnettes qui rythment cette description de la tomba del Triclinio (Tombes peintes de Tarquinia, p. 99) :

« Et comme elles étaient merveilleuses, ces peintures, et continuent de l’être ! Le groupe de personnages dansants qui encerclent la pièce a conservé ses couleurs lumineuses et fraîches, les femmes vêtues de légères robes à pois en mousseline de lin et de capes colorées ornées de franges fines, les hommes simplement enveloppés d’une sorte de voile. C’est avec frénésie que la femme bachique rejette la tête en arrière en tordant ses longues mains solides, comme une possédée qui pourtant garderait sa maîtrise, tandis que le robuste jeune homme se tourne de son côté et tend une main dansante vers celle de la femme jusqu’à ce que leurs pouces en viennent presque à se toucher. Ils dansent en plein air, non loin d’arbustes auprès desquels courent des volatiles, tandis qu’un petit chien à queue de renard fixe quelque chose avec cette intensité naïve de la jeunesse. C’est un ravissement sauvage qui, jusqu’à la moindre parcelle d’elle-même, habite la danseuse proche, chaussée de légères bottines, revêtue d’une cape à liseré, et dont les bras s’ornent de bijoux ; c’est alors que nous revient à l’esprit le vieil adage, selon lequel chaque partie du corps et chaque partie de l’âme connaîtra la religion et sera au contact des dieux. »

« Comme une possédée qui pourtant garderait sa maîtrise », quel beau fantasme d’écriture !

Aussi à image(s) sublime(s) textes en regard. (Livre en main, tout sourcil se défroncera, à lire ce qui semblerait hyperbole. Le choix iconographique est celui de Lawrence lui-même, les reproductions en noir et blanc ayant été remplacées par des reproductions en couleur, « qui rendent », nous dit l’éditeur, « justice à la fraîche vivacité de ces peintures ».) Comme l’écrit l’un des commentateurs, Max Plowman, un poète :

« Les Croquis étrusques n’ont pas reçu l’accueil qu’ils méritaient : le livre a été décrit comme “léger, désinvolte” et cité en exemple pour démontrer comment Lawrence idéalisait les gens dont il pensait qu’ils partageaient ses propres préjugés. Mais une telle impression n’est due qu’à une lecture superficielle. Les Croquis étrusques sont réellement une œuvre sérieuse, presque que de pure critique, dont la qualité rare n’échappera qu’à ceux qui croient que la délicatesse ne s’acquiert qu’au prix d’un labeur acharné et non par une grâce naturelle. »

« Ici, libéré de tout savoir livresque et de tout démêlé avec notre société, libéré de l’ennui de la civilisation moderne, vagabondant à ciel ouvert dans des lieux où s’offrent une nature et des êtres fascinants, le poète en lui s’éveille et fleurit, telle une rose sauvage. Tout le texte n’est qu’une rose sauvage ; il en a la délicatesse, la même évidence, la même beauté, la même douce insouciance nées du hasard, et les mêmes épines sur la tige. »

D’aucuns tiqueront nécessairement sur l’acquisition par grâce naturelle (y compris, surtout, celle d’accepter) et le style floral de Plowman ; qu’à cela ne tienne, le parcours de ces croquis étrusque fait oublier la santé menacée de l’auteur : puisse cette catabase être aussi régénératrice à qui suivra Lawrence dans ses explorations en profondeur. Quelle surprise de lire après : « Au moins ces vicieux voisins des Romains n’ont-ils pas été des puritains.

Mais à présent les tombes, cap aux tombes ! »

Et en route pour Cerveteri, Tarquinia, Vulci, Volterra, et pour finir le musée de Florence.

L’énergie de Lawrence, sa manière d’écrit-parlé (très soigné) donne à ce périple au pays des morts une allure des plus vivantes “comme si les Étrusques tiraient leur vitalité de profondeurs inconnues” auxquelles l’auteur a manifestement le désir de nous réouvrir accès.

                                                                                                              Ronald Klapka