Le Nouvel Observateur - n°2399 - Le Paris de James

 Le Nouvel Observateur - n°2399 - Le Paris de James
28 octobre 2010

Le Paris de James

L'Américain Henry James ne pensait pas que du bien de Paris et des écrivains français. Et pourtant…

Au centre du grand roman « français » de Henry James se tient un personnage mélancolique. Ce Lambert Strether, venu du lointain Massachusetts, s'est chargé d'arracher un jeune étourdi au charme délétère de Paris : s'il ramène le fils au bercail, il aura la mère, et l'argent qui va avec. Derrière ce héros incertain on découvre vite la véritable héroïne : la ville, intensément littéraire, féminine, et assez sorcière pour « retourner » l'agent de la vertueuse Nouvelle-Angleterre ; il va, cet innocent ambassadeur, pactiser peu à peu avec les mœurs parisiennes, changer de camp, trahir la cause, tout perdre enfin. De cette merveilleuse histoire, où James voyait le sommet de son œuvre, voici, due à Jean Pavans, auquel tous les jamésiens doivent une prière du matin, une nouvelle traduction. Après celle de Georges Belmont, c'était un pari aventureux. Mais tenu : grâce à de menus, mais décisifs coups de force – comme de remplacer le « you » indifférencié de l'anglais par le jeu français du « tu » et du « vous » –, le livre gagne en vigueur et en clarté.

Ce qui rend plus attachante encore cette relecture des Ambassadeurs, c'est la présentation que Jean Pavans – toujours lui – propose des écrits du romancier sur la littérature française. Car le « charme » qui a converti Lambert n'a pas épargné James lui-même. […] De son voyage dans les romans français, James revient aussi changé que Lambert Strether de son ambassade. Dans la liaison de son jeune protégé avec la dangereuse Parisienne, Lambert finit par voir ce que le garçon aura vécu de plus honorable. Chez les romanciers qu'il fréquente, James apprend que ce qu'il était sur le point de nommer relâchement moral cachait une foi – dans la langue française – et un courage – celui de vivre en accord avec ses aspirations profondes. N'est-ce pas là un autre nom pour la vertu ? Telle est en tout cas la leçon, exigeante et précieuse, que diffuse et propage l'air de Paris.

                                                                                                           Mona Ozouf