Le dernier recueil de Jean-Claude Caër Sur la voie abrupte est une traversée d’instantanés, de souvenirs de voyage, de notations sensibles, de réminiscences du cœur -s’agissant en particulier de l’émouvante évocation de la mère. Cette approche poétique est déjà présente dans ses précédents recueils Alaska ou Devant la mer d’Okhotsk. Qu’y a -t-il de nouveau dans ce recueil ?
Suscité par le confinement et le retour en sa maison familiale de Bretagne, le flux de conscience s’affranchit très vite du cadre de la circonstance. Serait-ce parce qu’il touche à une vérité intérieure aux accents testamentaires ?
C’est en tout cas avec une acuité parfaite que le poète déploie ici et approfondit les thèmes qui lui sont chers.
Le déplacement et le dépaysement lié aux voyages.
La nostalgie de la mémoire d’enfance.
La connivence avec le monde de ses ancêtres et avec sa terre du nord-Finistère à l’exceptionnelle beauté.
Le tissage de formes variées de l’art.
Les rochers bretons de Mean Melen transmués en « Bouddhas géants » voisinent ainsi avec l’art Haida de Bill Reid. Les icônes russes avec les fleurs du jardin botanique de Göteborg. Un portrait d'Anna Akhmatova avec une vieille machine à écrire étiquetée au Vietnam.
Comme dans le haïku, le poète cultive l’attention au plus simple, « le toit en éverite imbibé de pluie est presque noir ».
Il convoque le plus intime, en faisant résonner les voix des figures aimées, le père et la mère morts, l’épouse.
Il sait offrir l’horizon japonais le plus subtil, capable de dire l’éphémère :
« Les samouraïs pensent,
La sensibilité est le vrai sujet.
Le temps coule sur nous et dans nos veines ».
Aller loin pour mettre à nu ce qui est proche et revenir en ce monde de ses ancêtres avec le regard de l’ailleurs, tel est le chemin vagabond dans le temps et dans l’espace suivi par Jean-Claude Caër.
Cela ne va pas sans une certaine mélancolie : "Sur la voie abrupte, le monde ne reviendra pas".
La poésie dit l’absence, la perte pour mieux les conjurer. C’est à ce prix qu’il redonne à sa « province de l’âme », selon la formule de Julien Gracq à propos de la Bretagne, une disposition à l’ailleurs.
Cela passe par un art singulier de la rupture, du grand écart mental, du collage de fragments des plus divers. Ainsi, lors d’une sortie du poète dans la campagne bretonne, on ne s’attend guère à le voir évoquer un tracteur Massey Ferguson rouge et, l’instant suivant, l’entendre sur son portable converser avec un ami « du merveilleux poète japonais Takuboku Ishikawa ».
Sur la voie abrupte est un beau recueil où Jean-Claude Caër retrouve l’art le plus ancien, celui du rhapsode qui « coud ensemble » les mots du chant.
Par Marie-Hélène Prouteau