La genèse de ce livre écrit par un enfant de treize ans est une manière de conte. À leur arrivée à Paris en 1943, la mère d’Antoine Tudal, Jeannine Guillou, et son compagnon depuis 1937, Nicolas de Staël, s’installent dans l’hôtel particulier de Pierre Chéreau, rue Nollet, dans le quartier des Batignolles. Pierre Chéreau est alors en exil en Amérique, son bien confisqué par les autorités allemandes ; c’est la galeriste Jeanne Bucher qui le leur fait ouvrir, avec son parc en friche où les gamins des rues avoisinantes viennent s’encanailler auprès du jeune Antoine. Ce petit franco-polonais qui se fait aussi appeler Antek est, d’après sa mère, « inattrapable en corps et en esprit ». Des tribulations dans les Carpates et dans le désert marocain de son enfance, il a gardé le goût incoercible de la grande vie et des immenses espaces. On dit qu’il tourne mal. Un larcin qu’il commet par voyouterie innocente à la veille de la Noël 1943, met en danger Nicolas de Staël (les lois en vigueur en font un apatride, et partant un potentiel gibier de camp de concentration). Aussi, pour qu’Antek tire une leçon morale du vol, sa mère, tout ensemble ulcérée et inquiète, l’enferme dans la mansarde de l’hôtel et lui sert les repas sur la marche haute de l’escalier. Au grenier il n’y a rien, sauf une grosse bibliothèque de poésie contemporaine : Gide, Michaux, Supervielle, Birot… Quand après six mois il descend de sa « souspente », c’est avec un cahier de poèmes éblouissants pour son âge, véritable don d’une nuit d’Idumée. Antoine Tudal a concentré sur quelques pages le regard aigu qu’il porte sur le monde adulte, et toute sa rage de la solitude, son angoisse devant un univers menacé par le silence. Pierre Reverdy, à qui l’on rapporte l’histoire, est tout de suite ému par cet enfant dans une mansarde qui, comme lui, aurait su reconnaître en la poésie « le seul moyen de combler l’abîme qui baille entre les choses ». Il alerte le peintre Georges Braque, qui décide de faire imprimer un choix de poèmes chez Robert-J. Godet. Cette édition de luxe, rehaussée par une lithographie de Braque, est l’occasion pour Reverdy d’approfondir dans une très belle préface « au ton d’ironie glacée » sa propre idée de la poésie. Notre édition de Souspente suit l’originale de 1945, qui n’avait jamais été réimprimée. Elle est enrichie d’un texte d’Anne de Staël, demi-sœur de l’auteur, et d’une note bibliographique d’Étienne Alain Hubert, éditeur des Œuvres complètes de Pierre Reverdy chez Flammarion.
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