Les Beaux Jours d'Aranjuez : un dialogue d'été qui laisse froid
À l’Odéon, Luc Bondy inaugure son mandat de directeur avec une mise en scène sans grande inspiration de la dernière pièce de Peter Handke créée à Vienne il y a quelques mois. Les Beaux Jours d’Aranjuez, long dialogue sans action, déroutant et étiré, sur l’amour, a été accueilli par des applaudissements frileux pour sa première parisienne. D’abord écrit et publié en français, c’est en langue allemande qu’est donné à entendre et à voir ce texte difficile, parfois sublime. C’est mieux ainsi. La langue, plus belle, est portée par deux merveilleux acteurs, Dörte Lyssewski et Jens Harzer.
C’est l’été. Calme. Silencieux. Sons d’oiseaux et d’insectes au loin. Bruits du vent et d’orage. Frémissements. Rien n’est illustré de cette nature abondamment décrite, juste suggéré. Un dialogue. Une enquête. Une explication. Un homme et une femme mettent les pendules à l’heure tandis que le temps passe et file. Beaucoup de mystères, de suspense. On ne sait ce qui lie les personnages, ce qui les pousse à ce dévoilement, ce qui les libère et ce qui les astreint. Quelles sont les règles du jeu auxquelles ils se soumettent ? Lui pose les questions : « La première fois avec un homme, c’était comment ? » et revient continuellement à la charge. Elle répond, livre ses souvenirs intimes ou tente de se dérober.
La langue d’Handke, très écrite, n’a rien du ton de la discussion. Elle est plutôt d’une poésie obscure, opaque, mais aussi sensible et mélancolique. Inspirante quand elle met des mots et des images sur des sensations telles que l’attraction des corps, la naissance de l’amour, la jouissance physique, le manque, la désillusion, redondante dans ses évocations des éléments naturels, ou bien confuse ou peut-être un peu rétrograde quand elle aborde la guerre des sexes et les relations conflictuelles entre les hommes et les femmes.
L’exigeante ambition de porter à la scène ce texte peu théâtral est louable mais Luc Bondy ne semble pas vraiment savoir comment s’y prendre et demeure souvent peu inspiré ou impuissant à créer de la vie et des situations de jeux. Il s’illustre sans orgueil dans un minimaliste délicat qui lui évite de sombrer dans l’anecdotique. Impossible de lui reprocher cela, mais plutôt l’indécision, le scepticisme avec lesquels il ne prend pas les choses en main et fait toute confiance au texte. Il semblerait même qu’il ait procédé à plusieurs modifications du spectacle pour épurer encore davantage sa reprise parisienne. Par exemple, les acteurs n’endossent plus les costumes de scène qui servaient de trait d’union entre le « Don Carlo » de Schiller et la pièce d’Handke auquel le titre fait clairement référence. C’est dommage car on ne comprend plus la pertinence du décor (une arrière-scène) imaginé par Amina Handke, l’une des filles de l’auteur.
Il sait en revanche choisir et diriger les acteurs avec maestria. Dörte Lyssewski et Jens Harzer sont merveilleux de sensibilité. Belles présences, sensuelles, séduisantes, lui absolument juvénile, elle, ultra féminine. Ils disent, pensent, sentent tout, sans artificialité ni démonstration, proposent des vraies ruptures, des traits d’humour et de fantaisie, trop rares mais bienvenus.
Ils parviendraient presque à nous faire croire que tout ce qui s’échange là est essentiel, en fait c’est parfois à la limite de l’inintelligible et ennuyeux. Le temps éprouve et donne un sentiment d’éternité mêlé à une certaine lassitude. Simplement parce que le théâtre et l’émotion ne trouvent pas leur place dans cette conversation appesantie sur deux chaises pliantes autour d’une table.
Christophe Candoni