Plaisirs à cultiver - Flush de Virginia Woolf

 Plaisirs à cultiver - Flush  de Virginia Woolf
08 2010

Flush  de Virginia Woolf

Lilly m'a offert, lors du Portrait of a lady swap, un livre de Virginia Woolf qui vient d'être réédité : Flush. Cet ouvrage est peu connu en France car il a longtemps été indisponible. Fort heureusement ce manque est aujourd'hui comblé car chaque livre de Virginia Woolf est indispensable et d'une originalité formidable.

Lorsque Virginia Woolf se mit à écrire Flush, elle venait de perdre un ami très cher, Lytton Stratchey. Ce dernier était notamment célèbre pour ses biographies de « Victoriens éminents ». Pour lui rendre hommage, Virginia décida donc d'écrire à son tour une biographie, celle de Flush. Mais qui est ce Flush me direz-vous ? C'est là que l'auteur nous montre son audace car Flush est un épagneul ! Respectant l'art de la biographie, Virginia Woolf ouvre son livre sur l'arbre généalogique de Flush. Comme tout bon aristocrate, notre épagneul fait partie d'une longue lignée se perdant dans la nuit des temps. Flush naquit dans une famille assez pauvre, les Mitford vivant près de Reading, dans la première moitié de 1842. Il grandit à la campagne grâce aux bons soins de Miss Mitford. cette dernière aimait beaucoup son épagneul mais elle avait aussi un grand cœur. Afin de rompre la solitude dans laquelle vit une de ses amies, Miss Miford décide de lui donner son chien. Cette amie n'est pas une inconnue puisqu'il s'agit de la poétesse Elizabeth Barrett.

La vie de Flush permet à Virginia Woolf de nous raconter celle de Elizabeth Barrett. La poétesse vit en recluse à Londres dans la maison de son père. Elle passe toutes ses journées dans sa chambre pour cause de maladie. Il semble plutôt qu'elle souffre d'un manque de joie de vivre, d'une claustration forcée. Son père, très possessif, garde précieusement sa fille à domicile. Miss Mitford pense apporter un peu de vie à son amie par l'intermédiaire de Flush. Tous deux se plaisent d'emblée : « Ils se ressemblaient. […] Le visage de la jeune fille avait la pâleur fatiguée des malades, coupés du jour, de l'air, du libre espace. Celui du chien était le visage rude et rouge d'un jeune animal respirant la santé et la force instinctive. Séparés, clivés l'un de l'autre et cependant coulés au même moule, se pouvait-il que chacun d'eux, complémentaire, vînt achever ce qui dormait en l'autre sourdement ? » La vie de Flush sera celle d'Elizabeth Barrett. À Londres, il est contraint à l'enfermement de la chambre, à la sévérité de cette vie cloîtrée. Heureusement pour notre héros canin, la vie d'Elizabeth Barrett est l'une des plus romanesques de la littérature anglaise. Malgré sa maladie, elle rencontre l'écrivain Robert Browning, se marie avec lui dans le plus grand secret et fait une fugue. Le couple s'installe ensuite en Italie où Elizabeth et Flush revivent. L'un et l'autre perdent de leur intimité, mais leur évolution est similaire : Elizabeth découvre le bonheur de la maternité, Flush découvre un monde de sensations inconnues et de liberté absolue.

À travers ce double portrait, Virginia Woolf nous parle également de la société victorienne. Deux mondes apparaissent nettement. Tout d'abord celui où évolue Elizabeth Barrett, où les maisons sont joliment alignées et où la respectabilité prédomine. Mais c'est également un monde totalement corseté et Flush le ressent très fortement : « Contraindre, refouler, mettre sous le boisseau ses plus violents instincts – telle fut la leçon première de la chambre… » C'est ce refoulement de la vie que fuit Elizabeth Barrett mais également Virginia Woolf qui a souffert de l'éducation stricte et sévère de son père. C'est Flush également qui nous montre le versant sombre du Londres victorien puisque par trois reprises il se fait kidnapper. Là Elizabeth Barrett découvre la pauvreté de Whitechapel. Les maisons qui s'entassent les unes sur les autres, la misère et la saleté. La description qui nous en est faite n'est pas sans rappeler un certain Charles Dickens…

Enfin Flush permet à Virginia Woolf de parler de littérature, d'écriture. L'auteur se questionne durant ce court roman. On le sait, le souci majeur de Virginia est de rendre les sensations, les impressions fugitives. Ce projet ambitieux demande beaucoup de travail, de recherche sur les mots. Dans ce livre, Virginia Woolf semble douter de la puissance évocatrice des mots : « À bien considérer les choses, pensa-t-elle peut-être, les mots disent-ils vraiment tout ? Disent-ils même quelque chose ? Les mots ne détruisent-ils pas une réalité qui dépasse les mots ? » Il est vrai qu'il semble difficile de rendre les multiples sensations ressenties par Flush à Florence mais Virginia Woolf ne peut bien entendu se mettre totalement dans la peau d'un épagneul ! Le doute habita toujours Virginia Woolf mais pour le lecteur ce doute n'existe pas : son écriture est brillante, d'une beauté et d'une finesse inégalées. En voici un dernier exemple : « C'était le paysage humain qui l'émouvait. Il semble que la Beauté, pour toucher les sens de Flush, dût être condensée d'abord, puis insufflée, poudre verte ou violette, par une seringue céleste, dans les profondeurs veloutées de ses narines, et son extase, alors, ne s'exprimait pas en mots, mais en silencieuse adoration. Où Mrs Browning voyait, Flush sentait ; il flairait quand elle eût écrit. »

Flush n'est pas une œuvre mineure, il me semble d'ailleurs qu'il n'y en a pas chez Virginia Woolf. Je rejoins totalement la conclusion de Lilly, ce texte est vraiment magnifique, l'écriture est sublime et notre Flush très attachant.