Chômei : Notes de ma cabane de moine
Il s’agit du moine Kamo no Chômei, essayiste et poète japonais (XII?-XIII? siècle ap. J.-C.). Vers sa vingtième année, ayant perdu son père, il perdit en même temps l’espoir d’hériter de l’office paternel. Il occupa, dès lors, sa vie à la poésie et à la musique, et il mérita bientôt de faire partie du Jardin boisé de la poésie (« Karin’en »), sorte de cénacle poétique. Vers sa trente-cinquième année, fort du succès de son recueil personnel de poèmes, le Recueil de Chômei (Chômei-shû), il essaya de se procurer la charge de son père ; mais ayant rencontré sans motifs une vive opposition, il abandonna le palais. Cette déception, ainsi que les troubles politiques et les calamités naturelles qui frappèrent le Japon de son vivant, furent autant d’occasions pour Chômei de ressentir la fragilité des choses humaines, et de se faire un idéal d’une vie retirée et solitaire. S’étant rasé la tête, il se retira dans une minuscule cabane de dix pieds carrés, sur le mont Hino, près de Kyôto. Pourtant, sur l’invitation du shôgun Sanetomo, son confrère en poésie et en malheur, il alla passer quelque temps à Kamakura ; mais il revint bien vite à sa chère solitude. Ce fut là qu’il composa ses trois grands essais : 1º Notes sans titre(Mumyô-shô), livre de critique poétique ; 2º Histoires de conversion(Hosshinshû), ouvrage d’édification religieuse ; et 3º Notes de ma cabane de moine (Hôjô-ki), journal intime où il exprima, avec autant de sérénité d’esprit que de simplicité littéraire, les sentiments de son cœur ; c’est « en attendant le “Cahier des heures oisives”, un des meilleurs livres d’impressions que nous ait laissés la littérature japonaise, dit un orientaliste. Kamo no Chômei ne se contente pas de noter, à la fortune du pinceau, des observations ou des pensées disparates : il veut philosopher… et son charmant écrit, si dénué de toute prétention, n’en devient pas moins un exposé magistral de la sagesse pessimiste. »
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises de Notes de ma cabane de moine, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle du père Sauveur Candau.
« Dans la belle capitale, les maisons des nobles et des pauvres se succèdent dans un alignement de tuiles ; elles semblent durer des générations entières. En est-il vraiment ainsi ? Non ; de fait, il y en a bien peu qui soient encore ce qu’elles étaient autrefois. Ici, c’est une maison détruite l’an dernier et reconstruite cette année, là, une luxueuse demeure ruinée devenue une maisonnette. Il en va de même pour les gens qui les habitent. Les lieux ne changent pas ; il semble qu’il y ait toujours autant de monde ; mais en fait, sur les vingt ou trente personnes que j’y ai vues autrefois, à peine en trouverais-je une ou deux. Les uns meurent un matin, qui sont remplacés le soir par de nouvelles naissances. Exactement comme l’écume qui paraît et disparaît sur l’eau. »
— Passage dans la traduction du père Candau (éd. Le Bruit du temps, 2010)
« En la Ville pavée de jade, faîte contre faîte rivalisant par leurs tuiles, des grands et des humbles les habitations passent d’âge en âge et ne disparaissent, mais que si de leur vérité l’on s’enquiert, rares sont les maisons telles que jadis elles furent. Celle-ci l’an dernier incendiée, cette année fut reconstruite ; celle-là, grande maison détruite, maisonnette est devenue. Et de ceux qui les habitent, il en va de même. Les lieux point n’ont changé, les gens y sont nombreux, et cependant, de ceux qu’autrefois [vous] y vîtes, d’entre vingt ou trente c’est à peine s’il en est encore un ou deux. L’un meurt le matin, l’autre naît le soir, ainsi qu’il est coutume de l’écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de M. René Sieffert (éd. Publications orientalistes de France, coll. Tama, Cergy)
« Dans la capitale pavée de joyaux, les maisons des grands et des humbles, joignant les charpentes de leurs toits et rivalisant de leurs tuiles, semblent se maintenir de génération en génération ; mais quand on examine s’il en est bien ainsi, rares sont les maisons anciennes. Telles, détruites l’an dernier, ont été rebâties cette année ; d’autres, qui furent de grandes maisons, sont tombées en ruines et ont été remplacées par de petites. Il en est de même pour leurs habitants. Dans un endroit quelconque, il y a toujours beaucoup de monde ; mais sur vingt ou trente personnes que vous y aviez connues, deux ou trois survivent. On naît le matin, on meurt le soir. Telle est la vie : une écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de Michel Revon (dans Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XX? siècle, éd. C. Delagrave, coll. Pallas, Paris, p. 245-266)
« Dans une splendide capitale où les demeures des grands et des humbles joignent les charpentes de leurs toitures et se coudoient avec leurs tuiles, il peut sembler qu’elles durent sans intervalles, de génération en génération. Mais si nous examinons de près, nous trouverons qu’il n’y en a, en réalité, que quelques-unes qui soient anciennes. Celles-ci furent détruites l’an dernier pour être réédifiées cette année ; d’autres, qui furent de grandes maisons, tombèrent en ruines et sont remplacées par de plus petites. La même chose est vraie de leurs habitants. Si nous avons vécu longtemps dans un endroit où nous avions un grand nombre de connaissances, nous trouvons qu’une ou deux seulement nous restent des vingt ou trente que nous comptions auparavant. Le matin quelques-uns meurent, le soir quelques-uns naissent. Telle est la vie. On peut la comparer à l’écume sur l’eau. »
— Passage dans la traduction de William George Aston (dans Littérature japonaise, éd. A. Colin, coll. Histoires des littératures, Paris, p. 141-150)
Yoto Yotov