(…) « Je n’aspire qu’à une seule chose, fabriquer des poèmes, patiemment, avec obstination, en y consacrant des mois et des années, comme un Chinois ou un artisan maniaque. » Georges Séféris (1900-1971) a alors 27 ans ; il vient d’intégrer le ministère des affaires étrangères grec pour satisfaire son père, juriste très engagé en politique. Sa longue carrière de diplomate va le mener, au fil des troubles qui secouent le pays, de Londres à l’Afrique du Sud, en passant par l’Albanie et l’Égypte, où il suivra le gouvernement en exil en 1941. On voit naître un écrivain, sombre et inquiet, à travers ce journal précieux, tenu secret jusqu’à sa mort, et dont les huit cents pages couvrent les quatre premiers volumes d’un ensemble qui en comporte neuf. Nous y croisons Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Saint-John Perse, influences françaises depuis sa vie d’étudiant à Paris, Thomas S. Eliot, découvert à Londres, rencontre majeure, et Cavafy, auquel il projette de consacrer un essai. Et les premiers recueils à compte d’auteur, la persévérance dans une solitude certaine, l’ennui dans un emploi respectable qu’il quittera en 1962, un an avant d’être « nobélisé »… Quelques pages inédites du même journal et des études consacrées à ce chantre de la « grécité » qui choisit le démotique, la « langue vulgaire », ainsi qu’à son traducteur Gilles Ortlieb, auteur d’une œuvre poétique rare, sont au cœur du numéro de mars dernier de la revue Europe.
Par Carlos Pardo