Le Matricule des Anges (juin 2020), "Coquillage et route tracée", par Eric Dussert

01 juin 2020

ÉDITH DE LA HÉRONNIÈRE A FAIT EN 1977 UN PÈLERINAGE REMARQUABLE. SON RÉCIT, QUI REPARAÎT, S’EST INSCRIT AU RANG DES GRANDS TEXTES DE VOYAGE. 

La Ballade des pèlerins nous est rendu ! Ce livre, que l’on peut considérer comme la pierre de touche de l’œuvre d’Édith de La Héronnière, avait paru au Mercure de France en 1993. Il ouvrait la bibliographie d’une femme nettement éprise de spiritualité et de beautés. Elle n’avait alors publié que la traduction des écrits ultra-célèbres d’Oliver Sacks, L’Homme qui avait pris sa femme pour un chapeau. Vinrent ensuite des ouvrages sur la Bourgogne, sur le Vézelay, son lieu de résidence préféré à ce qu’il semble, un essai sur Teilhard de Chardin, un autre sur le poète alité Joë Bousquet, ainsi qu’un journal de voyage en Sicile et des promenades aux jardins, en particulier La Sagesse vient de l’ombre (Klincksieck, 2017) consacré aux havres de verdure siciliens... 

Comme elle l’écrivait encore dans Trinacria (Le Phare du Cousseix, 2018) à propos de la Sicile, on pourrait placer toute son œuvre sous cet exergue : « Au-delà de la rude apparence des choses se cache un raffinement dont nous n'avons pas idée. La beauté se découvre lentement. Le temps et le silence font leur œuvre ». C’est ce caractère 

tout entier voué à l’essentiel qui séduit chez Édith de La Héronnière dont la phrase se développe sincère et dense, sans ostentations inutiles. C’est en 1977 que se déroulèrent les prémices de l’aventure qui la conduisit sur les chemins de Compostelle. Il s’agissait là encore d’une aventure qu’elle tenait à vivre selon les règles les plus simples mais aussi les plus nécessaires, sans recours aux distributeurs de Coca-Cola, ni à ces boulevards à marcheurs voués au seul tourisme. « Tant et tant m’a été rapporté au sujet de ces conforts et aménagements nouveaux que cela ne correspond plus du tout au voyage de type « médiéval » tel que l’ont voulu les protagonistes de ce récit, à savoir un long périple par lequel ils quittaient leur vie sociale et professionnelle, le refus de tout secours motorisé et une solidarité qui consistait à ne jamais s’abandonner quoiqu’il arrive, une sorte de contrat matrimonial à quatre, en somme : le principe même du pèlerinage tel qu’on le concevait au Moyen Âge. La différence majeure étant que les quatre en question n’avaient aucun crime à expier – encore qu’il existe des crimes minuscules, invisibles à l’œil nu. » 

Si on devine ce qui l’attend au terme du périple, on n’est pas près de se rendre compte encore qu’il n’y a pas que l’enthousiasme et les instants de plénitude ou d’extase au détour des chemins. Il y a aussi le désenchantement devant cette France qui semble par endroits peu ragoûtante. De même, les corps finissent par se dérober et tombent plusieurs fois comme « un « kakis blet ». On trouve aussi des guides trompeurs et des importuns, et puis le sirocco qui n’est parfois pas « tenable », mais reste biblique et plein de leçons pour qui veut les entendre. « Quatre fétus de paille, pris dans un immense courant d’air et de soleil, marchent à l’infini sur cette route comme s’ils devaient s’y consumer et partir ensuite en cendres, dispersés avec les tourbillons, rendus à leur état original de poussière. » Tout au bout, loin, là-bas, il y a les fontaines purifiantes et cet accueil à l’Hostal de los Reyes católicos de Compostelle où, comme au XIIe siècle, on est installé pour de bon, et gratuitement, sous le regard blasé des soubrettes. Comme le pèlerin médiéval, on a tenu et on est arrivé. La plume subtile d’Édith de La Héronnière nous a en outre nettement enrichis. 

En somme, il était très judicieux de rééditer aujourd’hui le récit de ce pèlerinage d’il y a quarante ans. En particulier parce qu’il vient compléter utilement ce que nous avait offert en guise de périple authentique Marie Mauron avec La Transhumance (1959) – Anne Vallayes a pris depuis le relais avec La Routo (La Table ronde, 2017). De plus, alors que l’on en est collectivement à chercher – un peu bêtement, il faut le dire – comment ne plus user de croisière ou de vol lointain, l’idée de marcher en pleine campagne à peu près seul devient particulièrement séduisante. Finalement, en bénéficiant de cette Ballade des pèlerins profuse, belle et dense, on se demande désormais si Édith de La Héronnière n’était pas destinée à compléter le maître Nicolas Bouvier... 

par Éric Dussert