Kamo no Chômei
« Le monde est ainsi fait ; il est bien difficile d’y vivre et chacun sent la précarité de sa propre vie, de son habitation », écrit Kamo no Chômei dans un petit livret, et combien ces paroles semblent résonner en notre fragile XXI° siècle ! Nous sommes pourtant au XIII° siècle dans un Japon ravagé par les dissensions politiques et celui qui tient cette plume isolée au fond d’une cabane esseulée a cependant connu la vie de cour et ses vicissitudes…
Profondément inspiré par le bouddhisme qui se développe à cette époque, l’écriture de Chômei est marquée par les traits de la religion asiatique : l’impermanence des choses, l’évitement de la souffrance en abandonnant l’ego pour parvenir à l’éveil. Faut-il pour autant conclure à un essai spirituel, une digression à vocation religieuse ? Cela serait trop réducteur et surtout méconnaîtrait la complexité de celui qui témoigne de sa retraite volontaire au milieu des montagnes et qui voit le feu de son brasier le matin comme un compagnon fidèle de ses vieux jours. Chômei n’est pas un moine érémitique ou tout au moins s’il a décidé de vivre en solitude et en ascèse, ses émerveillements et ses rencontres en atténuent considérablement la rigueur… Comment en effet juger autrement le fait que la simple voix du hibou suffise à émouvoir notre moine et que lorsqu’il entend les cris du singe, il mouille sa manche de ses larmes ? Il serait plus juste de parler d’une ascèse poétique pour ces pensées écrites de sa cabane de moine ; une attitude qui évoque à la fois une certaine distance des choses et du monde, qui rappelle les pensées de Sénèque et en même temps préfigure un sensualisme marqué qui résonnera encore au siècle dernier avec Kawabata. Notre moine sait bien que ses émotions sont contraires à la maîtrise de soi prônée par l’enseignement bouddhique et s’il se repent, il ne peut s’empêcher à la dernière ligne de son ouvrage de remarquer que « la lune brille, mais il est triste de la voir disparaître derrière les monts » !
À noter que ce texte majeur de la littérature japonaise est accompagné en postface d’une étude particulièrement détaillée sur son contexte historique et littéraire rédigée par Jacqueline Pigeot.
Philippe-Emmanuel Krauter