Georges Séféris, Six nuits sur l'Acropole
C’est sous le signe de la lune que ces Six nuits sur l’Acropole rythment ce récit entre roman et poésie de Georges Séféris, prix Nobel de la littérature en 1963. Les dieux ne sont jamais loin en ce lieu élevé et pourtant les jeunes gens partagent des doutes et des inquiétudes que n’auraient peut-être pas reniés leurs augustes aînés… Constitué de récits épars, Séféris avait, dans les années 20, réuni ces écrits pour en former un tout qui aurait été son premier roman, même si son auteur, avouait, les destiner plutôt à la corbeille. Et pourtant, on se prête au jeu, ou plus exactement à cette narration le plus souvent poétique – et parfois sombre – de ces personnages en quête de sens et d’absolu dans un monde désenchanté. Séféris prend soin d’avertir que tous les personnages sont imaginaires, mais peut-on le suivre lorsque, au fil des pages, c’est toute notre humanité qui est évoquée, avec ses doutes et ses errances, ses amours et ses désillusions. La mythologie entretient un discours intime avec la littérature, et la poésie offre des ombrages merveilleux en contrepoint de la lumière crue de l’Attique. Cette belle traduction de Gilles Ortlieb touche le sensible chez Séféris avec cette absorption « par la vraie vie » à laquelle il s’était insensiblement laissé absorbé comme il le souligne dans son Journal. En ayant à l’esprit cette nuance entre la vie et le quotidien – suivant en cela les enseignements des Stoïciens qu’il appréciait – nous comprenons mieux cette narration ciselée par six nuits de lune. Ainsi que le souligne très justement Gilles Ortlieb dans sa préface, la Grèce est déchirée entre son passé illustre et ses doutes contemporains, l’écriture de Séféris est alors marquée par cette même oscillation qui guide les actions de ces jeunes gens en proie à une attirance magnétique pour les reflets marmoréens du sommet mythologique. La poésie est omniprésente dans ces pages et elles ne pourront que conduire le lecteur à redécouvrir l’œuvre de celui qui avouait : « J'ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l'infini silence »…
Philippe-Emmanuel Krautter