Le Temps, De l'amitié considéré comme l'un des beaux-arts, par John E. Jackson

 Le Temps, De l'amitié considéré comme l'un des beaux-arts, par John E. Jackson
15 mai 2021

La seule chose qu’on pourrait regretter à propos de ce magnifique ouvrage superbement illustré est que son titre, Bonjour, Monsieur Courbet, artistes, amis en vrac, 1956-2008, occulte un peu, par l’importance qu’il accorde à Courbet, le sens véritable de ces pages. Un titre plus adéquat aurait été par exemple De l’amitié considérée comme l’un des beaux-arts. C’est bien d’amitié, en effet, qu’il est question ici, d’une amitié comprise comme le mouvement par lequel Jaccottet a su se porter à la rencontre des œuvres de celles de ses connaissances qui étaient des artistes. D’une amitié comprise comme la ferveur et la reconnaissance que l’on peut témoigner à qui vous éclaire le monde d’une lumière qui en dévoile tel aspect inédit, bénéfique et même parfois émerveillant. D’Auberjonois à Palézieux comme de Lélo Fiaux à Jean Eicher, mais aussi de Morandi, de Giacometti à Garache, parfois une page, parfois plusieurs tentent de ressaisir ce que l’auteur a perçu d’essentiel. D’essentiel dans l’œuvre, mais aussi, et de plus en plus au fil des ans, d’essentiel dans la personnalité de l’artiste en tant que celle-ci révèle une forme ou l’autre de courage – ainsi le feu de la passion chez Lélo Fiaux ou chez Henriette Grindat, - de pureté – comme chez Gérald Goy -, d’aptitude au silence – comme chez Morandi – ou de sagesse. Ces peintres sont autant de compagnons, on a envie de dire, en reprenant le titre d’un poème de Char, de « compagnons dans le jardin », celui de Grignan, de la Drôme ou plus largement le jardin de toute terre habitée. Écoutons par exemple ce que Jaccottet écrit à propos de Palézieux : « On se croirait dans un grand jardin à demi sauvage ou délaissé, propice à la méditation d’une mélancolie plus tendre et plus effacée que celle de Dürer. D’ailleurs, regardez : presque aucun de ces paysages n’est sans maison, et bien souvent la maison en est le centre, une demeure, comme on dit si bien ; quelque chose qui dure silencieusement sous les arbres ou dans les champs, qui évoque le refuge ou quelquefois la prison, qui dit la tranquillité souhaitée, l’échange à voix basse, le temps suspendu, le havre. » Il n’est pas difficile de deviner à travers une telle évocation combien c’est de l’expérience partagée de ce temps suspendu grâce à l’amitié que parle Jaccottet. Aussi bien, chacun des chapitres de ce recueil constitue-t-il à sa manière une forme d’hommage à la présence d’êtres dont on sent bien qu’ils ont été, tant séparément qu’ensemble, les interlocuteurs du dialogue intérieur que le créateur en Jaccottet n’a cessé de mener tout au long de son existence et qui l’ont accompagné sur les chemins, si clairs et d’une si attentive patience, de sa propre création.

 

Par John E. Jackson