Le Spectacle du Monde - D.H. Lawrence, dernières nouvelles

 Le Spectacle du Monde - D.H. Lawrence, dernières nouvelles
01 octobre 2013

D.H. Lawrence, dernières nouvelles

Ce quatrième recueil des nouvelles de D.H. Lawrence, publié par le Bruit du temps, met en scène le sacrifice de la femme occidentale sur l’autel de la civilisation, et le puissant retour du refoulé qui en résulte. Plus explosif que jamais…

C’est armé de la terrible détermination d’un ange exterminateur et nourri de ses découvertes mexicaines que D.H. Lawrence fait table rase de la civilisation dans ce quatrième volume de nouvelles publié au Bruit du temps, dans une remarquable traduction de Marc Amfreville, et complété d’un appareil critique de premier ordre. Composés dans les dernières années de la vie de l’écrivain, ces textes nous montrent qu’il n’existe aucune échappatoire pour l’homme et la femme, misérables créatures chassées du paradis terrestre, dépossédées de leur condition charnelle par l’irruption du mal. Rien qui puisse les sauver, ni fortune, ni position sociale. L’irrésistible « sourire » qui se dessine sur le visage d’une nonne, lors de sa veillée funéraire, entame la surface si lisse des apparences.

Ce sourire, qui évoque Dieu sait quelles pensées secrètes, se relie tout naturellement à la vie rêvée des corps, à une vie au soleil. Mais la nouvelle intitulée précisément Soleil, relatant l’éveil sensuel grandissant d’une froide Américaine au gré de longs bains de soleil, ne fait qu’exposer la tentation de fusion sexuelle. Fusion toutefois maintenue à l’état de simple rêve, de simple « fascination » exprimée par l’apparition récurrente d’un serpent d’entre les rochers, tandis que la jeune femme, plus soucieuse de respectabilité sociale, chasse bien vite de ses pensées l’image du jeune berger qui n’attendait qu’un signe d’elle. Fascination, telle est bien la nature du fluide à la fois glacial et brûlant, qui s’étend ici au fil d’une lancinante mise à l’épreuve de la volonté. Puisqu’il s’agit bien d’être mort ou vivant, de se ressaisir dans un sursaut vital ou de s’abandonner à la peur, à la langueur ou à la déréliction.

La Femme qui s’enfuit est, à ce titre, un sommet d’ambiguïté lawrencienne. Cette Américaine, mariée à un homme sans attraits, n’est-elle pas d’une certaine manière déjà morte depuis longtemps, quand elle s’offre en sacrifice aux Indiens chilchuis ? À cet acte suicidaire se superpose l’accomplissement rituel d’une régénérescence, d’un retour à l’être primitif et solaire qui vit en accord avec les grands rythmes de l’univers. La frontière entre la vie et la mort devient si intime que le surnaturel surgit soudain, en un puissant retour du refoulé. Le spirituel se voyant dès lors assigné à résidence, soumis à la gloire du corps, et non l’inverse. D’où ce vertige, né de l’exaspération des désirs, mais qui, bâti sur les plans invisibles d’une volonté inexorable, rappelle la tonalité d’un Edgar Allan Poe.

Joyeux fantômes, qui scelle la réconciliation entre un veuf et sa défunte femme laquelle, délaissée dans sa chair de son vivant, l’a hanté pendant des années, fait ainsi penser à La Chute de la maison Usher, allégorie du déclin engendré par l’endogamie. Traiter sa femme en sœur, tel est le reproche suprême, l’accusation freudienne qui vise l’homme resté enfant, paralysé par la mère castratrice. Si Belle dame dit l’essentiel sur le sujet, Le Crack à bascule va plus loin encore. Dans ce récit où un enfant, déjà grand, tire sa chance au jeu d’une pratique outrée de son cheval à bascule, la mère, très dure, apparaît comme une nouvelle Médée dont les enfants ne jouent plus sinon leur propre vie. Que dit le désir d’enfant ? À quelle justesse des relations doit conduire le désir ? D.H. Lawrence nous suggérerait presque, en filigrane, une histoire secrète et implacable de la parenté…

                                                                                         Anne-Sophie Yoo