L'impossible libération
C'était en décembre 1950, au Palais de justice de Paris. Deux rescapés des camps nazis s'affrontaient devant la 17e chambre correctionnelle. L'un, David Rousset, avait appelé les anciens déportés à fonder une commission d'enquête sur le système concentrationnaire soviétique. L'autre, Pierre Daix, l'avait traité de faussaire. Le premier avait assigné le second en diffamation. L'heure du procès était venue. Dans le Paris de l'après-guerre, tous deux étaient connus. Ancien militant trotskiste, Rousset avait connu le succès en publiant, à son retour des camps nazis, L'Univers concentrationnaire. Membre du Parti communiste, Daix était le rédacteur en chef du prestigieux hebdomadaire Les Lettres françaises. Lors du procès, chacun fit défiler à la barre une cohorte de témoins. Parmi ceux de Rousset, un certain Julius Margolin, un docteur en philosophie originaire de Biélorussie qui avait passé cinq années au goulag et dont une partie des souvenirs venaient d'être édités en France sous le titre La Condition inhumaine (Calmann-Lévy).
Le Livre du retour, qui paraît aujourd'hui, complète ce témoignage majeur, dont l'intégralité n'a été publié qu'en 2010, près de quarante ans après la mort de l'auteur (Voyage au pays des Ze-Ka, Le Bruit du temps). C'est un ensemble de textes, écrits juste après la guerre, où Margolin raconte les étapes qui l'ont mené de sa sortie du goulag à son retour chez lui à Tel-Aviv, la ville où il s'était installé dans les années 1930 et où il aurait vécu paisiblement s'il n'avait eu le malheur de se trouver en Pologne en 1939.
Saisissants de réalisme, mais polis par un esprit d'une grande culture qui leur donne une hauteur peu commune, ces textes – que complètent en fin de volume quelques chapitres autobiographiques sur l'enfance de l'auteur – disent l'impossible libération d'un homme qui s'avouait « possédé à tout jamais par le fantôme du passé ».
Thomas Wieder