« Poèmes costumés » suivi de « Bât. B2 »
Deux livres (épuisés depuis un bail), côte à côte. Deux temps compris entre les années d’une fin de royaume, son agonie, ses langueurs (Poèmes costumés), et les paysages urbains de la cité phocéenne (Bât. B2). Deux vues, l’une, comme trempée dans les Mémoires de Saint-Simon, à celle, panoramique, qu’offre le bâtiment B2 sur un ciel croulant, près d’éclater dans les verts de pins ébouriffés... Ces livres dessinent le voyage presque inactuel de la poésie de Jean-Luc Sarré. L’attention aux choses les plus ordinaires est un leitmotiv qui n’empêche pas son regard, ouvert à tout, ironique autant que mêlé de tendresse, d’accueillir la grande Histoire en la tressant à ses détails les plus incongrus. L’effet que ferait le velours sombre d’un pli de robe sur l’œil à l’affût d’un marquis par exemple, Sarré l’écrit dans le battement de tout un inventaire, « sorte de contre-blasons d’une imagerie officielle qui cache […] ce qu’il y a d’inconvenant » (Jean Roudaut).
Fait de rêveries fracassées et de désirs rageurs, de constats amers et d’ennui ou de joie prosaïques, le poème, ici, impeccable boiterie, trimballe tout cela dans ses costumes « avec attelages et bestiaire en surimpression ». C’est un ouï-dire qui insiste en eux, avec des mots à rêver (gourgouran, émigrettes, spadassins, agioteur, hémines, etc.), pour qu’à la crosse du vers on entende « Les fossés du roi puent la merde ? / Il en sera ainsi des miens », ou encore ce « Madame les bottes dans la boue / toute parfumée de son exil / n’aime pas les défaites insipides », tandis que « Deux ou trois gants, un éventail, / du crottin comme à la parade / encore fumant sur le pavé / d’une cour qu’abandonne au silence / la musique des chevau-légers... » ouvre un bonjour à la beauté équine... Magnifiques pénétrations de l’Histoire venue résonner dans les pages de Bât. B2 où se réenchante le gris de l’usure, « soit un bruit d’assiettes, de couverts, / tombé du plomb froid de décembre, intrusion ébréchée, ménagère, / déboutonnée jusqu’au soleil ».
Emmanuel Laugier