Le Matricule des Anges - n°104 - Sonnets portugais de Elizabeth Barrett Browning

 Le Matricule des Anges - n°104 - Sonnets portugais  de Elizabeth Barrett Browning
01 juin 2009

Sonnets portugais  de Elizabeth Barrett Browning

Composés pendant les vingt mois qui précèdent le mariage secret et la fugue, en septembre 1846, de la poétesse angalise avec Robert Browning,ces sonnets ne sont parus qu'en 1850, l'auteur hésitant à dévoiler au public une matière aussi intime. Elizabeth Barrett Browning a déjà construit une œuvre, et une renommée ; étrangement, celle-ci a connu ultérieurement un certain déclin, alors que des écrivains tels que Emily Dickinson, Rainer Maria Rilke ou Virginia Woolf ont pu la saluer.

Cet ensemble est une anatomie précise et détaillée de l'amour d'une femme pour un homme. Anatomie, où la pudeur cède la place à l'exigence de la vérité sur soi, et où le souci narcissique de livrer un autoportrait flatteur se voit éliminé par la volonté de saisir l'essence du sentiment. Et Elizabeth Barrett Browning pousse jusqu'au masochisme la dévalorisation de soi : elle se présente comme irréductiblement inférieure à celui qu'elle aime : « Va-t'en, hélas ! – / Je ne veux pas souiller ta pourpre de ma poussière », et, à cause d'épreuves qui l'ont durablement abîmée, indigne de son sentiment : « Car bien des larmes ont déteint / Les couleurs de ma vie, et laissé une étoffe / Si pâle, si terne, qu'il ne serait point décent / D'en faire don comme oreiller pour ta tête – / Va-t'en ! – Qu'elle serve à se frotter les pieds – ». Cependant, cette analyse non convenue de la passion dépasse les clichés attendus en la matière, notamment celui de l'amour-fusion. Elle intègre toute la complexité du sentiment, à travers des éléments surprenants : « Car nos horizons divergent, et notre front, / Nos cheveux, ne brillent pas au même soleil », ou dérangeants : « Pour toi je renonce à la tombe ». Et si la sensibilité fortement romantique, nourrie d'allégories et de symboles, ne correspond pas toujours à celle du lecteur d'aujourd'hui, ce dernier ne restera pas insensible à la beauté d'airain dont résonnent certains vers : « Quand nos deux âmes se tiennent droites et fortes, / Face à face, en silence, et peu à peu se rapprochent / Jusqu'à ce que leurs ailes s'étirant prennent feu / À leur courbe extrémité… ». La tendance à l'abstraction et au raccourci, des irrégularités ponctuelles et calculées (rimes imparfaites, assonances) de la prosodie, un sourcilleux souci de la musicalité, tout comme l'impatiente liberté de l'esprit qui l'orchestre, expliquent l'admiration pour cet auteur d'une Emily Dickinson, dont deux poèmes dédiés à E. Barrett Browning se trouvent en fin de volume, pour ainsi matérialiser la modernité indéniable de cette écriture.

                                                                                                                          Marta Krol