Le Magazine Littéraire - n°508 - Quête nippone

 Le Magazine Littéraire - n°508 - Quête nippone
01 mai 2011

Quête nippone

La poésie américaine contemporaine est en France extraordinairement mal connue. La plupart de nos prétendus « experts » en sont restés aux minimalistes et présentent encore Zukofsky ou Oppen comme l'extrême pointe de la modernité, alors que les poètes américains qui comptent aujourd'hui sont à l'opposé de ce courant. Pour l'instant, seuls C. K. Williams (né en 1936), John Ashbery et, plus récemment, W. S. Merwin (tous deux nés en 1927) ont été (partiellement) traduits. C'est pourquoi il faut saluer la découverte en France de Henri Cole, un poète de 55 ans qui jouit aux États-Unis d'une renommée croissante. Né d'une mère française d'origine arménienne et d'un père américain, il a publié sept recueils : celui-ci est le cinquième. Henri Cole l'a écrit au Japon, son pays natal, où il est retourné en 2000 alors qu'il n'y avait passé que les deux premières années de sa vie ; la mort récente de son père, autrefois militaire sur la base de Kyûshû, n'est pas étrangère au désir d'aller séjourner dans ce pays. Henri Cole écrit une poésie ouvertement autobiographique, privilégiant les strophes de 14 vers où l'on peut voir un écho du sonnet pétrarquiste ou élisabéthain. Le but que poursuit son écriture sans hermétisme, mais très raffinée, est une réconciliation avec soi-même, avec ses souvenirs, par-delà les blessures d'une histoire douloureuse qui l'a poussé à fuir très tôt la maison familiale. L'homosexualité, très présente dans des recueils antérieurs comme The Visible Man, n'apparaît ici qu'en toile de fond ; s'adressant aux animaux, aux plantes, aux objets quotidiens, le poète leur demande un apaisement, une initiation à l'impermanence. Il faut remercier Claire Malroux, poète et traductrice à qui l'on doit déjà tant de découvertes marquantes, pour cette magnifique traduction.

                                                                                               Jean-Yves Masson

Extrait
Ma cérémonie du thé

Ô bols, ne dites pas aux autres que je bois
mon alcool en vous. Je veux qu'un sentiment de beauté
entoure les faits les plus simples de ma vie.
Assis sur mes talons nus, m'inclinant avec cérémonie,
je veux qu'une atmosphère de douceur conjure
le sordide de la vie quotidienne
dans un pavillon reclus environné
de rochers noirs et de graviers gris.
Mi-cérébral, mi-sensuel, je veux entendre
l'eau murmurer dans la bouilloire
et voir l'araignée, d'un vert jade,
rester à l'écart sur le mur.
                                                   Cœur, inquiète créature,
je ne veux plus haïr. Je veux qu'à nouveau
l'amour me foule entre mes bras.