Le Figaro littéraire : Trieste en rêvant

 Le Figaro littéraire : Trieste en rêvant
03 octobre 2019

Trieste en rêvant

Celui qui se disait « plein de parenthèses », le poète Umberto Saba, fut également un grand prosateur, qui excellait dans les portraits et les souvenirs volontaires, l’art de l’aphorisme et les micro-narrations. C’est ce que nous rappelle cette réédition de petits textes, une douzaine au total, traduits et présentés par Gérard Macé. L’auteur du Canzoniere, qui faisait l’admiration d’un Eugenio Montale ou d’un Boris Pahor, y évoque avec cette finesse inégalée son contemporain Gabriele D’Annunzio, le poète romantique du désespoir Giacomo Leopardi ; paie son tribut à l’autre grand Triestin, à savoir son aîné Italo Svevo, « plein d’une touchante joie de vivre » ; brosse à grands traits les portraits de la belle Adèle, sœur de son épouse et muse Lina, du comédien Tommasso Salvini, et d’hommes à l’âme d’enfant.

Dans ce petit volume à lire absolument, c’est bel et bien sa ville natale qui constitue le premier personnage, cité portuaire et cosmopolite, capitale de douleurs et de tristesses sans fin (« ove son tristezze molte ») qui s’ébrouent sous la beauté du ciel. L’adriatique et grand môle Audace, où il aimait à se promener (une plaque commémorative en témoigne), les cafés littéraires, la Via San Nicolo, les boutiques obscures et les librairies, ou le château de Miramare qui domine le golfe, plantent le décor de l’univers singulier de Saba, infatigable arpenteur de ce qui fut le terminus d’une certaine Europe. En résumé, comme le dit Gérard Macé, « une autobiographie à moitié rêvée ». De celles qu’on lit et relit toujours avec délices.

Par Thierry Clermont