VIRGINIA WOOLF, Sylvia Plath et Marina Tsvetaeva : Shoshana Rappaport a porté sa plume dans la vie et les jours de trois femmes, trois destins à l’épilogue tragique dénoué par la mort volontaire, longuement mûrie. L’auteur a choisi de nous les présenter dans leur quotidien, au moment où elles sont au sommet de leur art, en utilisant, pour les rendre plus proches, le présent de l’indicatif. L’ouvrage, publié une première fois en 2010, refait son apparition dans une édition particulièrement soignée, au Bruit du Temps.
Les pages les plus passionnantes sont sans conteste celles qui sont consacrées à l’auteur des Vagues et de Mrs Dalloway, cette « étoile scintillante foudroyée de peur », replacée dans son décor de Monk’s House, le cottage du Sussex, acquis en 1919. Une pluie fine, des massifs de crocus, la présence des oiseaux, une simple motte de beurre, la cueillette des mûres, le souvenir d’un séjour à Spotorno au printemps 1933, l’écriture et ses doutes, la maison d’enfance de St. Ives, dans les Cornouailles, qui lui inspirera La Promenade au phare, les balades quotidiennes avec le chien Pinker, les nombreuses lectures (Mme de Sévigné, Colette, Dante, l’Odyssée). « La plénitude ou le néant, tel était son sort », souligne Rappaport. Ce sera donc le néant et la bourbeuse Ouse où elle se noya en mars 1941, les vêtements lestés de pierre.
« Il y a quelque chose d’assourdi en elle. Ou plutôt quelque chose qui ne vibre pas. » La formule, appliquée à Virginia Woolf, vaut également pour Sylvia Plath, qui n’aura publié durant les trente et un ans de sa courte vie que deux livres. La petite Américaine de Boston épousera le grand poète anglais Ted Hughes, malade qu’elle était de « n’avoir aucune ligne d’horizon palpable ».
« Révoltes insensées »
Avec Marina Tsvetaeva, qui aspirait inlassablement au feu prométhéen, nous atteignons une autre dimension, proche du génie. « Elle se complaît dans la méconnaissance d’elle-même : elle y puise des forces, des munitions, des révoltes insensées », note bien à propos Rappaport. On retrouve cette proche de Pasternak et Rilke dans ses villes d’exil : Berlin, Prague, Paris et ses faubourgs, avant le retour suicidaire à Moscou, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Une vie marquée par une extrême indigence, par la tragédie familiale, par une obsession et de la poésie et de la subsistance au quotidien, avec deux enfants à charge, Gueorgui (tué en juillet 1944 sur le front) et sa fille aînée, Ariadna, qui lui survivra.
Ariadna réapparaît dans les lettres post mortem et imaginaires adressées à sa mère entre 1955 et 1975 (année de sa mort), nées de toutes pièces de la fantaisie pertinente d’Estelle Gapp, qui dresse superbement le portrait de ces deux femmes inséparables*. « Nous étions, disait Tsvetaeva, moi ton premier poète, toi mon meilleur vers. » Une édition remarquable, rehaussée de photos et complétée par des lettres totalement inédites de Tsvetaeva à sa fille, datant de 1941, alors que la poète va être reléguée à Yelabouga, où elle se pendra, à 49 ans.
Par Thierry Clermont
*Je t’aime affreusement, d’Estelle Gapp, Éditions des Syrtes, 174 p., 13 €.