La Liberté - Je me souviens… plus ou moins

 La Liberté - Je me souviens… plus ou moins
28 novembre 2009

Je me souviens… plus ou moins

Témoins de l'infamie

Surprenant témoignage que celui de Jean Rounault, Mon ami Vassia, souvenirs du Donetz, paru en 1949 après sa détention dans le camp soviétique de Makeevka. De son vrai nom Rainer Biemel, ce fin lettré roumain, traducteur de Kafka et de Thomas Mann, antifasciste, eut le malheur de porter un nom allemand. Les Soviétiques l'arrêtèrent en janvier 1945 et le déportèrent dans un wagon à bestiaux jusqu'au « Donetz », le camp de concentration « made in URSS ». Il n'y restera pas longtemps puis gagnera la France où il mènera une carrière éditoriale. Surnommé « Rouno » par ses camarades russes de détention, il a témoigné très tôt de l'enfer soviétique, cet exercice appliqué d'infamie et du mépris de l'être humain. Sans doute le premier du genre, ce récit documente l'absurdité et la méchanceté banale envers tous ceux dont le seul crime aura souvent consisté à douter du sacro-saint système.

Ça n'a l'air de rien, mais ce témoignage du quotidien glace le sang au fil des pages, tant l'individu calibré par Staline n'a aucune existence, aucune matière et encore moins d'intérêt. Sans doute l'un des meilleurs livres à relire pour comprendre en quoi nazisme et stalinisme sont pareils en leur déshumanité. Autrement dit : pour percer « les monstrueux camouflages de l'histoire », pour reprendre les mots de Gabriel Marcel en sa préface d'origine. Une mission éthique que « Rouno » avait promise à ses camarades dont le cher Vassia qui donne son titre à cet important témoignage à la mémoire millimétrique.

                                                                                                                 Jacques Sterchi