La Dépêche - Grand-Sud Tarn - Terre médiane, recueil du poète américain Henri Cole

 La Dépêche - Grand-Sud Tarn - Terre médiane, recueil du poète américain Henri Cole
06 2011

Terre médiane, recueil du poète américain Henri Cole

Claire Malroux est poète, depuis longtemps adoubé par ses pairs. En marge de son œuvre propre, elle n'a cessé de faire connaître les poètes de langue anglaise qui ont choisi, comme elle, l'écoute et l'humilité pour exprimer leur rapport au monde, aux autres, à eux-mêmes, à des secrets et à des mystères cachés. Emily Dickinson, le plus grand poète du XIXe siècle américain, lui doit une part de sa notoriété en France, et aussi quelques autres.

On devine ce qui l'a intéressé dans Terre médiane, le dernier recueil d'Henri Cole dont le jury du prix Pulitzer avait souligné l'importance, l'écriture poétique qui, patiente, sans bruit, particulièrement sensible, se fait poreuse à des vibrations qui recréent dans leur lumière exacte tout un passé volontairement méprisé.

Henri Cole le dit : « Il veut conjurer le sordide de la vie quotidienne. » Après la mort de son père, il s'est enfermé dans sa chambre pareil à une bête avec sous ses yeux une bouteille de Johnny Walker reflétant le visage de son père.

Terre médiane, c'est le recueil d'un homme de 50 ans désaccordé de lui-même, qui fait retour sur sa vie, essaie de la purger des questions inquiètes dont l'assaille le souvenir d'un père, un militaire qui a fait son service au Japon, qui buvait, se conduisait violemment avec sa mère d'origine franco-arménienne et qui oubliait l'existence de son fils.

« Lait en poudre » est un poème typique de ce recueil où autour d'un fait insignifiant tout d'un coup devenu insistant. Son père l'a appelé un jour dans le jardin, il est allé, mu par cette voix sortie de la gorge de son père, la sienne finalement, ou par le désir réprimé de lui tenir tête. Le père s'offre un whisky, propose à Henri Cole un verre de lait comme s'il était toujours un enfant. Henri se souvient de cette scène dont il revoit le lieu, une statue délabrée, des chiens qui se poursuivent, des poissons rouges qui mastiquent dans le bassin, un bruit de crécelle d'un essaim d'abeilles.

Sa voix dépourvue de vibrato détaille tous les éléments d'un paysage banal qui sert de fond à une scène intime, où sont soulignés la distance et le vide des rapports entre le fils et le père qui ne s'aperçoit pas que son fils n'est plus un bébé.

Tout est dit, à peine un regret, la mise à nue dans un repli de silence, de l'évidence d'une incompréhension définitive entre un père et son fils.

 

Viens au jardin, as-tu dit,
et j'y suis allé, entendant ma voix dans ta gorge. C'était une façon de s'oublier.
Ou une façon de se faire face,
je ne savais.
Tu as bu un scotch et m'as préparé du lait en poudre, comme si j'étais encore ton petit garçon.
Des chiens se bousculaient sur la pelouse autour du David de Michel-Ange, une relique ;
de gros poissons rouges ordinaires mâchonnaient dans le bassin ; et le bavardage des abeilles nous encerclait,
remplissant un vide.

                                                                                                       Jean Roques