Le poème, disait Goethe, doit toujours être de circonstance. « Autrement dit, ajoutait-il, il faut que la réalité fournisse l’occasion et la matière. »
De circonstance (par exemple « J — 1 avant le confinement »), les poèmes de ce très beau livre de Jean-Claude Caër le sont pour la plupart. Ils saisissent avec beaucoup d’acuité ces « brefs éclairs de beauté » qui ne cessent, malgré tout, de passer dans la vie (ne serait-ce qu’un très prosaïque « tracteur étrangement indigo »). Ils disent notamment, avec toute la sobriété requise, la saveur à la fois iodée et légendaire de la « matière de Bretagne ».
On a parfois tendance à penser que la poésie de circonstance est sans grande valeur, nous ramenant à l’inessentiel de l’anecdote, aux détails secondaires qu’elle exhiberait avec trop de complaisance. Je crois au contraire qu’elle ramène au jour de l’inédit de cet hic et nunc toujours renouvelé qu’est l’existence (« in-édit », telle est bien d’ailleurs l’étymologie du grec « an-ecdote »).
D’un grand dépouillement, sans complaisance aucune (la poétique du haiku les gouverne), ces poèmes font toucher du doigt, à même l’anecdote, le plus vif et le plus grave de l’existence, ce qui en elle se confond avec la « sensation de l’évaporation du temps ». C’est le cas tout particulièrement de la dernière section, où l’auteur évoque, l’entendant au téléphone, la voix de sa mère (désormais vivant en maison de retraite) : cette voix « N’est pas la voix de ma mère qui riait, bavardait en breton./ Montrait ses bijoux de paysannes / Ses bagues, ses colliers / A mes jeunes cousines dans la chambre. »
Par Jean-Claude Pinson