Études - n°418/6 - Toujours la tempête

 Études - n°418/6 - Toujours la tempête
01 juin 2013

Toujours la tempête 

Storm still – « toujours la tempête » : reprenant au Roi Lear de Shakespeare cette didascalie lancinante, Peter Handke met en scène, dans un texte polyphonique étrange et déroutant, la tragédie des Slovènes de Carinthie, qui toujours refusèrent d’être un peuple tragique, prenant les armes pour lutter contre ce IIIe Reich qui voulait leur prendre leur langue, mais rattrapés par les antagonismes de la guerre froide. Handke met en scène un narrateur qui dialogue avec ses ancêtres, tous bien vivants, venant à tour de rôle le rejoindre sur un banc, dans son Jaunfeld natal. Ils sont plus jeunes que lui, et lui-même se voit bébé, témoin malgré lui de toute une épopée familiale : ses oncles et tante engagés auprès des « partisans », sa mère partie à la recherche de l’Allemand avec lequel elle l’a conçu, ses grands-parents recevant impassibles des nouvelles de leurs enfants disparus. Pour le seul oncle survivant à la guerre, Gregor, le tragique appartient aux Grecs, pas à eux, ici, en nouvelle Yougoslavie – mais l’humanité tout entière « crie et [l]’empoigne contre [son] gré, et raffûte et gronde, et tempête et mugit, et bruisse et rugit… » Il fallait assurément une forme théâtrale pour incarner une telle confrontation, dans la chair, avec l’Histoire. C’est un très grand texte, que l’on attend avec impatience de voir jouer. Il faut lire et (re)voir également Les Beaux Jours d’Aranjuez (Le Bruit du temps, 2012), qui ont fait l’ouverture de la saison au théâtre de l’Odéon en septembre 2012. Deux textes très puissants.

                                                                                              Elsa Kammerer