Études - n°412/2 - Mon ami Vassia

 Études - n°412/2 - Mon ami Vassia
01 2010

Mon ami Vassia

Début 1945, le NKVD déporte la minorité allemande de Roumanie. Plus de 60 000 hommes et femmes sont raflés pour être envoyés dans les mines de charbon. Après un voyage de plusieurs jours dans un de ces trains de sinistre mémoire, Jean Rounault arrive au camp 1022 à Makeevka dans le Donbass, en Ukraine. Il s’agit d’une structure intermédiaire entre le camp du Goulag et l’usine soviétique ordinaire, qui mélange déportés et ouvriers, les uns et les autres maintenus dans un identique état de servitude. Le froid, la faim, les maladies, la brutalité de l’administration stalinienne l’apparentent au premier cercle de l’enfer concentrationnaire. Animé par la seule volonté de dire l’URSS « telle qu’elle est » et telle qu’il l’a vécue, J. Rounault nous fait éprouver un « certain climat humain » où « le sublime et l’horrible se mêlent étrangement dans le nitchevo qui signifie : tout est possible », restituant au quotidien les comportements et les pensées de l’ouvrier russe, incarné par le personnage de Vassia, l’ami qui lui a plus d’une fois sauvé la mise. Un aspect de ce témoignage, d’autant plus implacable qu’il est dénué de tout ressentiment, ressort particulièrement : le désespoir dans lequel survit un prolétariat sans illusion et absolument réfractaire à la propagande, un prolétariat réduit en esclavage au nom de la liberté : « La phrase de Staline : “L’homme, le capital le plus précieux”, doit être prise à la lettre. Elle n’indique point, au sens occidental des mots, une valorisation de l’individu ; elle se traduit au contraire comme l’affirmation que l’ouvrier russe est la propriété, la “chose” de Staline. »

                                                                                                                     Franck Adani