Romancier (pensons à l’étonnant Monsieur Néant), poète (voici le 21e opus), Emmanuel Moses, né en 1959, délivre ici « quatre » longs poèmes sur des thèmes qui lui sont chers : l’amour, la rencontre mystérieuse, la mémoire des gens et des époques, Jérusalem (la foi de ses ancêtres, la Shoah). Le titre donc, bien choisi, est aussi musique des mots, instrument poétique pour dire, en de très longues laisses, ce qui lui tient à cœur.
En termes d’amitié, d’amour, la rencontre insolite est un fervent ferment ; elle vivifie toute relation ; elle instaure en soi, en l’autre, le mystère doux de vivre :
L’inconnu avec qui on discute dans le compartiment
la salle d’attente ou le salon de coiffure
…
Tu as compris le sens de l’existence, un certain sens, du moins
… Elle va et vient, tel le vent dans ta figure…
La vie, c’est l’ange rencontré, c’est la fin « du néant », c’est le messager, le « type » qui déboule, puisque « la rencontre est une formidable création à deux ».
Combattant l’indifférence, luttant contre ceux qui ont voulu et réussi à détruire les descendants de David, le poète, par ses longues poésies, tient à inverser les horreurs de l’histoire par un flux de vie, de beautés : la glaise du paysan courbé, l’« errance à la manière d’un vagabond ».
Jérusalem, traversée, observée, avec ses « chats errants filant vers de douteuses pitances », par celui qui est « heureux comme au surgissement de l’ange », c’est l’occasion des souvenirs, de la mémoire chaleureuse qu’il faut entretenir comme un feu, puisque certains lieux n’existent plus pour prouver qu’on est passé par là, pour le pire (Drancy).
Il retraverse le Paris de ses jeunes années et lève les yeux : « GAZ A TOUS LES ETAGES ».
Il chante les petites rivières des environs de la capitale : Yvette, Bièvre, Drouette. Il invite tout un chacun « à trinquer au nez et à la (fausse) barbe du diable ». Sans renier le lyrisme, notre poète fait de la poésie un désarmant outil de conquête du meilleur en soi : beauté, bonté, convivialité. Il sait trop bien que l’ère est mortifère, oublieuse du meilleur, sans mémoire des autres.
Sa poésie a le grand mérite de nous renvoyer à nos meilleures armes : l’amitié, l’amour.
Ce soir, près de Pecqueuse,
Le ciel sera en joie, ardent et tendre…
Suivez votre cœur et l’appel du plaisir
Déployez la roue de vos cinq sens
Et voguez, voguez puissamment vers le Grand Horizon.
Ce sont les ultimes vers de ce beau recueil en partage.
Par Philippe Leuckx