Blog Boire-La-Tasse - Only connect, par Christophe Langlois

 Blog Boire-La-Tasse - Only connect, par Christophe Langlois
06 octobre 2015

Only connect

À qui ne connaît toujours pas Le Bruit du temps et sa librairie de bois vert rue du Cardinal-Lemoine, on ne peut que prendre la main, l’emmener : seule la vision de ces livres advenus dans un ordre secrètement pressenti, soumis à une volonté plus vaste que celle d’un seul homme, peut convaincre de l’aventure actuelle.

Chaque livre qu’ils font est une fête pour l’esprit.

Et je dis « faire » comme le poète est appelé en anglais « maker », mot cher à Borges, car c’est avec le réalisme absolu du poète que l’éditeur fabrique ici son objet.

L’une des grandes exaltations de la vie d’un lecteur aura été d’avoir reconnu, tenu, le beau. Il est ici, à portée de main. Forster le sensuel, l’intellectuel, le sage amant de la vie, nous donne en 2015 ce livre, Howards End (1910) dans la traduction de Mauron, qui est évidemment l’événement littéraire de la rentrée. Oui, admettons-le, pas un livre du demi-millier de romans tombés des presses, ne porte si haut les couleurs de la sensibilité, le sens du livre — qui doit à l’éditeur sa forme voluptueusement découpée —, le sens de ce qu’est un texte, des surprises qu’il sait ourdir, de la formidable plasticité du roman, la faculté d’embrasser la mort, la tendresse, la tragédie, de faire entrer le lecteur dans la vie intérieure, de gagner ce monde à l’intelligence reliante — « only connect » est l’épigraphe de ce chef-d’œuvre — grâce à une irrésistible épidémie du regard.

Forster — après Monteriano (1905), Le plus long des voyages (1907), et avant Route des Indes (1924), tous au Bruit du temps dans de frais volumes cousus sous jaquette — a composé l’œuvre la plus équilibrée qui soit, où il a fait entrer en collision le monde moderne, la psychologie et l’intemporel de la nature.

Ce n’est pas tant de ses livres mêmes qu’il faut parler — que j’incite le lecteur à dévorer tous à la suite, car il ne s’en trouvera pas rassasié mais magnifiquement élevé vers l’extase — que de quelque chose qui persiste entre eux et nous, qui flotte après la lecture, par-dessus les livres : l’esprit de Forster ? Le nôtre ? Peut-être plus encore... Une disposition à rentrer dans la compréhension des êtres, des situations, du temps, qui semble être une motion de l’Esprit. Nul besoin après de chercher un salut en dehors de cette conscience, elle est le salut lui-même, une appréciation colorée et spirituelle de la vie.

Christophe Langlois