Culturopoing.com - « Die Schönen Tage von Aranjuez », m.e.s. Luc Bondy

 Culturopoing.com - « Die Schönen Tage von Aranjuez », m.e.s. Luc Bondy
14 septembre 2012

« Die Schönen Tage von Aranjuez », m.e.s. Luc Bondy 

Avec Die Schönen Tage von Aranjuez (Les Beaux jours d’Aranjuez), Luc Bondy signe artistiquement sa nomination à l’Odéon en y proposant sa première mise en scène en tant que directeur. Si sur le papier l'association du metteur en scène avec le talentueux et polémique Peter Handke est alléchante, le résultat n'est pas forcément à la hauteur…

« La première fois avec un homme, c'était comment ? »

Dans Die Schönen Tage von Aranjuez, l’auteur autrichien Peter Handke nous invite à suivre au gré d’un « monologue d’été », les réflexions de deux jeunes personnes, une femme et un homme, autour des thématiques de l’amour, des souvenirs, du regret, de la vengeance et de la révolution sexuelle. Entre les deux personnages se met alors en place une joute sensuelle qui, régie par des règles assez floues, étire au possible le langage jusqu’à l’épuiser : il est interdit de répondre par simplement oui ou non ou bien encore d’y évoquer de près ou de loin, l’amour, etc. Schiller et Tennessee Williams s'invitent en filigrane.

« Je ne sais plus. Et je ne veux pas le savoir. Ce que je sais : cet instant sur la balançoire, haut dans les feuillages du verger, moi enfant transformée en reine, dure toujours. Il est valable jusqu'aujourd'hui. Même si je suis restée une reine exilée. La reine d'un monde autre que celui-ci, d'une planète différente, et pas question de quelque trône que ce soit – dès l'instant de ma transformation j'ai été en même temps privée, non seulement de l'enfance mais, en plus, de toute légitimité d'une habitante du monde habituel, de ma planète terre, là… »

Si ce texte est magnifique, il faut bien admettre que le porter sur scène s’avère ardu tant il met à l’épreuve le comédien autant que le spectateur dans les mots même : les descriptions sont pléthores, les thématiques s’amoncellent et les liens logiques, disparates, s'effacent totalement parfois. Loin de les trahir, il semble que Luc Bondy soit néanmoins tombé à pieds joints dans les pièges tendus par les mots de Handke en ne réussissant pas à les faire entendre : le spectateur s’ennuie, souffle et souffre tout du long, cherche dans son siège la position la plus agréable possible, contemple le joli plafond du théâtre, refait mentalement la liste de ses courses, perdant ainsi tout intérêt pour la pièce en elle-même et pire que tout pour le texte qui en était pourtant le centre.

Mais alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans Die Schönen Tage von Aranjuez tel que mis en scène par Luc Bondy ?

Si nous avons d’emblé écarté le texte en lui-même qui reste brillant malgré sa difficulté évidente à être porté sur scène, il convient également d’écarter le talent des comédiens qui, il faut bien l’admettre, demeurent très justes même s’ils semblent quelque peu dépassés par la pièce (en témoignent les nombreux clins d’œil complices avec le public). Dörte Lyssewski et Jens Harzer sont remarquables dans leur interprétation précise et sexy. Rien à redire non plus quant à l’utilisation des silences ainsi que sur l’ambiance sonore du spectacle qui réussissent à amener le spectateur à ressentir cette après-midi et cette soirée d’été (les cigales, les grillons…) et à en appréhender l'atmosphère.

Écartés le texte et le talent des comédiens donc, ce sont bien la mise en scène, la scénographie et le décor qui semblent responsables de ce sentiment de voir une pièce qui constamment tape à côté.

On ne comprend en effet pas les intentions des personnages et au travers de ces dernières, celles du metteur en scène. Pourquoi l’homme se déguise-t-il constamment ? Pourquoi met-il cette coiffe d’indien tout à coup ? Quel est le sens de tout ça ? Bondy donne l’impression de chercher à insuffler du rythme à sa pièce et contourner ainsi la monotonie du dialogue en surprenant le spectateur, ce qui au final ne fonctionne pas du tout, bien au contraire. On a le sentiment désagréable que le metteur en scène ne sait pas quoi faire de ses comédiens et qu’il se dit : « Tiens, si je mettais une coiffe d’indien sur mon interprète à ce moment-là, comme ça, pour voir ? » Il pourrait tout aussi bien lui demander de danser en plein milieu sans raison… ah oui, à un moment le comédien se met très justement à danser en plein milieu sans raison. À un autre moment, il prend la table et la dispose et puis un peu après il joue avec des cartes dessus pendant qu’elle, elle regarde une pomme avant de finalement s’en débarrasser dans un coin de la scène. « Et ? »

Côté décor, c’est la même chose : rien ne semble justifié. La poutrelle en ferraille (un rail ?) et le paravent peint semblent avoir été posés là, comme ça, simplement histoire de mettre une poutrelle en ferraille et un paravent sur une scène posés là, comme ça, et cela sans aucune autre justification. Même chose pour le grand rideau qui encombre le fond de scène et qui ne s’ouvre sur… et bien rien ou pas grand-chose. La mort sans doute, et encore, ce n’est pas très clair. Il aurait tout aussi bien pu s'ouvrir sur un champ d'ornithorynques albinos ou bien sur la prostate de mon grand-père qu'il aurait eu le même effet… S’il y a un sens à tout cela, il n’est en rien lu par le spectateur qui se demande encore une fois : « Et ? »

S'ensuit alors une sorte de colère contre Bondy pour nous avoir fait cette proposition qui ne parvient en rien à nous toucher, à nous émouvoir. Pour nous avoir fait perdre notre temps.

Bien sûr que Peter Handke est un grand auteur malgré les polémiques qu’il a pu soulever notamment sur ses prises de positions pro-serbes, bien sûr que Les Beaux Jours d’Aranjuez est un texte magnifique, mais malheureusement Luc Bondy manque sa cible principale, le spectateur, en usant d’artifices brouillons illisibles qui noient l’intention des mots et la transforme en profond ennui.

Un grand dommage qui résonne en un long soupir qui ricoche sur le joli plafond donc, de l'Odéon, Théâtre de l'Europe...

« La première fois avec un homme, c'était comment ? »

Et bien ça avait l'air ennuyeux on dirait…

                                                                                         Alban Orsini